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Poème pour Jackson Pollock


Du côté du Groenland ou des Bermudes, nul ne sait exactement,
il te faut voir ces filets de pêche pour attraper le kraken géant, celui qu'on ne voit jamais, mais dont on sent son indicible présence.
Tout autour de toi, l'eau s'effraie de son ombre, et la vague se tait.
 
Près de ces arbres, plantés en grande cariatide, se peignent tes grandes toiles.
Au Gulf Stream, tout réveillé en hâte, tu te rappelles, le cœur de l'agave, fait tequila.
Sirop chanteur pour ton frère d'armes, le peintre Siqueiros.
Il t'a appris à mesurer cette longueur nonchalante faite de couleurs que tu coupes, comme un tailleur de tissus, dans l'espace de ta future peinture.
 
Et pour cela tu empruntes les couleurs des 4 saisons, copie d'une musique de Vivaldi, ajoutées avec ces couleurs noir de l'asphalte, et du granit.
Toi que tu penses comme détournées de leurs traditionnelles missions à paver les rues de New-York.
Noir aussi de la nuit où ton labeur, collant à ton front, est amendé du malheur des indiens.
Fonds de quasars, radars pour poètes.
Tissages et macramés, faits par la libellule aux couleurs bleues de l'acier.
Fils de bas de soie de femmes fait plus fin, pour toi, que des fils de toiles de guêpes noires du Mato Grosso.
Fils de nids de tisserins, comme une robe de chat, pêcheur de poisson-lune.
Fils d'ajoncs de la fleur du cactus, pour le chapeau de ta jeune amie.
Dans tout cela, je veux y voir le présage de la grande roue du paon, celle que l'on sort pour les cérémonies du maharadjah, et fait pour éblouir les jardins des mille et une nuits.
 
Ouvre, décachette le sceau qui déploie l'éventail de tes couleurs, comme des oiseaux aux envols si aisés de virevolter, comme un vent de Provence.
Eclair ultime et soudain de la lampe à pétrole aux mille feux.
Et toi, dans tout ce charivari de peintre, tu entames la cime du ciel avec tes drippings.
Comme le vol de l'épervier, tu prends pour tactique d'happer la peinture, elle appelée féminin éternelle et insaisissable.
 
Toiles, comme des pièges d'adolescents, en vacances de la Toussaint, faites pour retenir l'œil du spectateur.
Avec toi devant ces toiles, comme un poète nu devant le soleil.
Et sur la ligne d'horizon existe, persistant, au sommet des parois des grands canyons, ton regard fait de curiosité et d'indiscrétion presque puérile et enfantine de dérision humaine.
 
Ta peinture, geste simple, sortie de l'encyclopédie surréaliste, est comme ton amie qui arrose de sel la pâte du pain à manger.
Et à l'atelier dans la grande île il y a des pots de peinture aux couleurs de l'automne indien dont nul ne put faire l'inventaire.
Et enfin elle, la peinture diluée sur la toile, apparue comme dans un préau de fortune à danser avec un simple bâton plein de couleurs, jusqu'à épouser la consistance du miel que tu voulus pour le corps de tes couleurs, comme pour les corps des femmes que tu as séduites.
 
Et toi, ami des fermiers, cousin du peintre Benton, c'est presque un arc de sourcier que tu prends pour pinceau avec tes gestes si amples, après les torons devenant mille pluies, sur la toile.
Comme des espèces d'aspersions de peintre, devenant comme un semeur, sensible à ces rosées copiées de l'aurore.
Presque un pinceau musical de ce moment fait d'avant le jour, toujours sujet à intrigues d'humains.
Et peint dans ces moments pour échapper à toute cette misère humaine de laideur et d'errance.

 

Olivier Cantenys

   

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